Tours sous Jean Royer : l’audace d’un maire, la métamorphose d’une ville

Jean Royer : un maire pas comme les autres

Né à Nevers en 1920, Jean Royer s’installe à Tours après la Seconde Guerre mondiale. Enseignant d’anglais enthousiaste, puis député dès 1958, il remporte les élections municipales de 1959 face à une majorité socialiste en place depuis 1945. Sa particularité ? Un amour immodéré pour « sa » ville – et le goût du défi, même quand il bouscule les traditions. Sous son mandat, Royer va transformer Tours avec énergie – quitte à parfois s’attirer la foudre de ses opposants !

  • 36 années de mandat, un record en France pour un maire de ville moyenne.
  • Engagement pour la famille, les espaces verts, le patrimoine, bien avant que ces thèmes ne deviennent “tendance”.
  • Un style volontiers autoritaire mais aussi très humain qui a marqué les Tourangeaux.

Une ville en chantier : grands travaux et nouveaux quartiers

La percée de la rue Nationale et les “tranchées royériennes”

Impossible d’évoquer Tours version Royer sans parler des gigantesques chantiers menés dès les années 1960, notamment la redéfinition de la Rue Nationale. Cette artère, sinistrée par les bombardements de 1940 et 1944, est désenclavée, élargie et bordée de nouveaux immeubles que l’on reconnaît à leur pierre claire. Moins connue : la création des fameuses “tranchées Royériennes”, larges brèches creusées pour faciliter la circulation et répondre à la croissance automobile. Ces travaux, colossaux pour l’époque, permirent notamment de :

  • Remodeler 7 hectares au cœur de Tours pour désengorger le trafic ;
  • Créer plusieurs nouveaux ponts sur la Loire, dont le pont Wilson reconstruit en 1978 ;
  • Favoriser le développement de nouveaux quartiers commerciaux et résidentiels, notamment Les Rives du Cher et Monconseil (source : Ville de Tours, municipalité).

Le revers de la médaille, c’est la disparition d’une partie du bâti ancien. La modernisation forcenée de l’époque, commune à toutes les grandes villes françaises, n’épargne pas Tours, mais Royer, plus que d’autres, compense en lançant l’un des programmes de restauration les plus innovants de France.

La renaissance du Vieux-Tours, ou comment sauver la ville historique

Dans les années 1960, le quartier du vieux Tours n’a rien du lieu branché d’aujourd’hui : taudis insalubres, démographie en berne, commerce déserté. C’est là que Royer fait figure de pionnier : loin de le raser, il le protège et le rénove en profondeur.

  • Création d’un secteur sauvegardé dès 1973, sous l’impulsion de la loi Malraux, mais aussi d’initiatives municipales inédites (source : INA).
  • Rénovation minutieuse de plus de 200 maisons à pans de bois dans les années 1970-80, un chantier salué par les Monuments Historiques.
  • Relance des commerces, ouverture de cafés et restaurants, reconstruction d’un tissu urbain vivant : la place Plumereau, l’une des plus animées de France aujourd’hui, renaît dans sa configuration médiévale.

Résultat ? Le Vieux Tours devient un modèle national, souvent cité en exemple pour la restauration urbaine patrimoniale. On assiste à un “retour de la ville sur elle-même”, dynamisant la vie nocturne et l’activité touristique.

Espaces verts et qualité de vie : Royer avant l’écologie

Fervent défenseur de la famille et de la nature en ville, Jean Royer dote Tours de nombreux parcs et jardins nouveaux :

  1. Le Parc de la Gloriette : transformation des prairies inondables en espace multi-activités, marais pédagogiques, jeux, et animations.
  2. Création et réaménagement de squares, notamment au Sanitas et dans le quartier Febvotte.
  3. Plantation de plus de 10 000 arbres rue Nationale et dans les nouveaux quartiers entre 1960 et 1990 (source : Archives municipales).

L’obsession de Royer : “une ville faite pour ses habitants, où il fait bon respirer” (dixit le maire en 1987, cité par La Nouvelle République du Centre-Ouest). Aujourd’hui, Tours compte près de 550 hectares d’espaces verts – beaucoup ont été pensés ou tracés sous Royer, qui lança aussi une politique pionnière de jardins partagés.

Infrastructures : se rêver capitale régionale

Royer, “l’homme de Tours”, a toujours voulu hisser la ville au rang de capitale régionale digne de ce nom. Il encourage donc l’arrivée de grandes infrastructures et soutient la création ou la modernisation de :

  • La faćulté des sciences et la transformation de l’université de Tours en pôle majeur d’enseignement supérieur à partir de 1969.
  • Un stade omnisport (Stade de la Vallée du Cher, inauguré en 1978).
  • Le Centre International de Congrès Vinci, imaginé dès la fin des années 1980 et inauguré peu après son départ (1993).
  • Le développement de l’aéroport Tours-Val de Loire.

Autre volet clé : les accès routiers (rocade, bretelles d’autoroutes), attirant à la ville de nombreuses entreprises “high tech” – dont STMicroelectronics ou IBM. Tours devient, dans les années 80, le premier pôle électronique de la région Centre.

Un urbanisme “à l’américaine”… et ses débats

Certains reprochent à Royer la primauté des grands axes routiers, le béton des années 60, ou la périurbanisation rapide (exode de la population vers Saint-Cyr, Joué-lès-Tours, Saint-Pierre-des-Corps). Ce modèle, très “années 60-80”, marque encore les paysages urbains, mais il permet aussi à Tours de gagner 30 000 nouveaux habitants entre 1962 et 1992 (source : INSEE).

Un maire, des valeurs, et quelques polémiques

Jean Royer fut un homme de principes, parfois archaïques pour ses détracteurs. Sa croisade contre "l’immoralité urbaine" – fermeture de cinémas X, lutte contre l’affichage sexuel ou publicitaire agressif – lui vaudra le surnom de “Croisé de la moralité”. Anecdote fameuse : il ordonne en 1977 l’arrachage, en pleine nuit, d’une affiche pour le film "Emmanuelle", jugée trop suggestive ! (Libération)

  • Promotion de la natalité : construction de plusieurs écoles maternelles et crèches.
  • Protection farouche du tissu associatif local (clubs, sociétés musicales, associations sportives).
  • Conservation d’une politique de la “ville à taille humaine”, en refusant par exemple la fusion pure et simple des communes suburbaines.

Souvent critiqué pour son autoritarisme, Royer veillait personnellement à ce qu’aucun grand projet ne soit lancé sans son aval, jusqu’à l’organisation d’élections internes à la majorité… et à quelques affaires d’ingérence. Mais il reste adulé, notamment par la génération des années 80 et 90, pour sa proximité et sa pugnacité à défendre les intérêts locaux.

L’héritage Royer : entre fierté et controverse, un visage de Tours impossible à ignorer

Difficile d’imaginer Tours sans Jean Royer : c’est lui qui a imaginé la ville moderne, doté l’agglomération d’équipements culturels et sportifs, favorisé l’arrivée de grandes entreprises, et protégé le paysage médiéval. Aujourd’hui, la place Plumereau attirant chaque été plus de 50 000 visiteurs par week-end, ou les avenues bordées de platanes, continuent de raconter sa vision (source : Office de tourisme Tours Val de Loire).

  • Une ville d’art et d’histoire : le label officiel est décerné à Tours en 1988, récompensant 15 ans de réhabilitation (source : Ministère de la Culture).
  • 10 000 logements sociaux construits durant ses mandats, avec un accès volontairement mixte en centre-ville et en périphérie.
  • Un centre-ville “vivant” où la plupart des commerces, cafés et établissements culturels sont encore partis d’un plan de revitalisation lancé sous Royer.

Tourangeaux adorent ou détestent Royer, mais tous s’accordent sur ce constat : la ville lui doit une identité puissante, entre modernité assumée, soin jaloux du patrimoine, et volonté farouche de faire de Tours bien plus qu’une étape sur la route des châteaux. Aujourd’hui encore, nombre de débats autour de l’urbanisme local font référence à cette période foisonnante, preuve que l’héritage Royer continue de nourrir la réflexion… et la passion autour de Tours.

Sources à explorer pour aller plus loin

  • Jean Royer, « le roi de Tours » (France Culture)
  • Articles “Tours sous Jean Royer”, La Nouvelle République du Centre-Ouest, cycle d’archives 1995-2020
  • INA, « Le secteur sauvegardé du vieux Tours »
  • Libération, “Jean Royer n’a plus régné”, 12 avril 1995
  • Dossier « Patrimoine reconnu » (Ministère de la Culture, base Mérimée)
  • Archives municipales de Tours, inventaires 1960-1995
  • INSEE, démographie urbaine de Tours 1962-1992
  • Office de tourisme Tours Val de Loire, dossier “50 ans de réinvention urbaine”

Aujourd’hui, flâner dans les rues de Tours, s’étonner devant l’ancien et le moderne côte à côte, c’est aussi relire, sans le savoir parfois, l’audace de Jean Royer en filigrane… et mesurer à quel point une ville peut se réinventer, génération après génération.