25 octobre 2025
Né à Nevers en 1920, Jean Royer s’installe à Tours après la Seconde Guerre mondiale. Enseignant d’anglais enthousiaste, puis député dès 1958, il remporte les élections municipales de 1959 face à une majorité socialiste en place depuis 1945. Sa particularité ? Un amour immodéré pour « sa » ville – et le goût du défi, même quand il bouscule les traditions. Sous son mandat, Royer va transformer Tours avec énergie – quitte à parfois s’attirer la foudre de ses opposants !
Impossible d’évoquer Tours version Royer sans parler des gigantesques chantiers menés dès les années 1960, notamment la redéfinition de la Rue Nationale. Cette artère, sinistrée par les bombardements de 1940 et 1944, est désenclavée, élargie et bordée de nouveaux immeubles que l’on reconnaît à leur pierre claire. Moins connue : la création des fameuses “tranchées Royériennes”, larges brèches creusées pour faciliter la circulation et répondre à la croissance automobile. Ces travaux, colossaux pour l’époque, permirent notamment de :
Le revers de la médaille, c’est la disparition d’une partie du bâti ancien. La modernisation forcenée de l’époque, commune à toutes les grandes villes françaises, n’épargne pas Tours, mais Royer, plus que d’autres, compense en lançant l’un des programmes de restauration les plus innovants de France.
Dans les années 1960, le quartier du vieux Tours n’a rien du lieu branché d’aujourd’hui : taudis insalubres, démographie en berne, commerce déserté. C’est là que Royer fait figure de pionnier : loin de le raser, il le protège et le rénove en profondeur.
Résultat ? Le Vieux Tours devient un modèle national, souvent cité en exemple pour la restauration urbaine patrimoniale. On assiste à un “retour de la ville sur elle-même”, dynamisant la vie nocturne et l’activité touristique.
Fervent défenseur de la famille et de la nature en ville, Jean Royer dote Tours de nombreux parcs et jardins nouveaux :
L’obsession de Royer : “une ville faite pour ses habitants, où il fait bon respirer” (dixit le maire en 1987, cité par La Nouvelle République du Centre-Ouest). Aujourd’hui, Tours compte près de 550 hectares d’espaces verts – beaucoup ont été pensés ou tracés sous Royer, qui lança aussi une politique pionnière de jardins partagés.
Royer, “l’homme de Tours”, a toujours voulu hisser la ville au rang de capitale régionale digne de ce nom. Il encourage donc l’arrivée de grandes infrastructures et soutient la création ou la modernisation de :
Autre volet clé : les accès routiers (rocade, bretelles d’autoroutes), attirant à la ville de nombreuses entreprises “high tech” – dont STMicroelectronics ou IBM. Tours devient, dans les années 80, le premier pôle électronique de la région Centre.
Certains reprochent à Royer la primauté des grands axes routiers, le béton des années 60, ou la périurbanisation rapide (exode de la population vers Saint-Cyr, Joué-lès-Tours, Saint-Pierre-des-Corps). Ce modèle, très “années 60-80”, marque encore les paysages urbains, mais il permet aussi à Tours de gagner 30 000 nouveaux habitants entre 1962 et 1992 (source : INSEE).
Jean Royer fut un homme de principes, parfois archaïques pour ses détracteurs. Sa croisade contre "l’immoralité urbaine" – fermeture de cinémas X, lutte contre l’affichage sexuel ou publicitaire agressif – lui vaudra le surnom de “Croisé de la moralité”. Anecdote fameuse : il ordonne en 1977 l’arrachage, en pleine nuit, d’une affiche pour le film "Emmanuelle", jugée trop suggestive ! (Libération)
Souvent critiqué pour son autoritarisme, Royer veillait personnellement à ce qu’aucun grand projet ne soit lancé sans son aval, jusqu’à l’organisation d’élections internes à la majorité… et à quelques affaires d’ingérence. Mais il reste adulé, notamment par la génération des années 80 et 90, pour sa proximité et sa pugnacité à défendre les intérêts locaux.
Difficile d’imaginer Tours sans Jean Royer : c’est lui qui a imaginé la ville moderne, doté l’agglomération d’équipements culturels et sportifs, favorisé l’arrivée de grandes entreprises, et protégé le paysage médiéval. Aujourd’hui, la place Plumereau attirant chaque été plus de 50 000 visiteurs par week-end, ou les avenues bordées de platanes, continuent de raconter sa vision (source : Office de tourisme Tours Val de Loire).
Tourangeaux adorent ou détestent Royer, mais tous s’accordent sur ce constat : la ville lui doit une identité puissante, entre modernité assumée, soin jaloux du patrimoine, et volonté farouche de faire de Tours bien plus qu’une étape sur la route des châteaux. Aujourd’hui encore, nombre de débats autour de l’urbanisme local font référence à cette période foisonnante, preuve que l’héritage Royer continue de nourrir la réflexion… et la passion autour de Tours.
Aujourd’hui, flâner dans les rues de Tours, s’étonner devant l’ancien et le moderne côte à côte, c’est aussi relire, sans le savoir parfois, l’audace de Jean Royer en filigrane… et mesurer à quel point une ville peut se réinventer, génération après génération.