Portraits inattendus : quand Tours s’invite dans le grand livre de la science

Des précurseurs du savoir venus de la Cité tourangelle

Avant même le bouillonnement du XIX siècle, certains natifs de Tours ont laissé, chacun à leur manière, une empreinte sur la science ou la diffusion des savoirs. Loin du cénacle des laboratoires, ces esprits curieux témoignent de la grande ouverture d’esprit de la ville sur le monde et sur les progrès de son temps.

Honoré de Balzac : la curiosité polymathe

À première vue, citer Balzac dans un article sur les scientifiques tourangeaux pourrait sembler provocateur. Mais l’auteur de , né à Tours en 1799, fut aussi passionné par les sciences. Il se lia d’amitié avec plusieurs figures scientifiques de son époque ; ses romans sont truffés de descriptions techniques ou de concepts scientifiques, parfois novateurs. Balzac suivait avec passion les débats autour de l’électricité, de la médecine ou de la chimie de son temps, s’inspirant des avancées découvertes lors de sa jeunesse tourangelle : il fréquenta par exemple la bibliothèque municipale, foisonnante de traités modernes grâce à la Société d’Agriculture, Sciences, Arts et Belles Lettres de la ville.

  • Dans , il imagine l’impact de l’hygiène et de la médecine rurale sur la société.
  • Une page de est considérée comme l’une des premières fictions françaises à évoquer la théorie des ondes cérébrales, bien avant les neurosciences – tout en romantisme tourangeau.

Si Balzac n’a pas été “scientifique” au sens strict, sa curiosité intellectuelle, puisée à Tours, contribue à la vulgarisation et à la valorisation du progrès, à une époque où science et littérature sont étroitement tissées.

Jacques-Marie Hénon (1802-1872) : l’art de dompter les chiffres

Né à Tours et formé à l’École polytechnique, Jacques-Marie Hénon fut l’un des pionniers de la physique mathématique et de l’astronomie en France au XIX siècle. Il travailla aux côtés de grands noms comme Arago ou Poisson, et contribua au perfectionnement des calculs orbitaux pour la Marine et les scientifiques. Membre de l’Académie des sciences, il s’illustra notamment par ses travaux sur la trajectoire des comètes, les tables d’éphémérides, ou encore la correction des erreurs de mesure dans les observations astronomiques.

  • Auteur de plusieurs publications scientifiques de référence entre 1830 et 1870 (Source : Société Astronomique de France)
  • Joua un rôle de conseiller pour l’Observatoire de Paris ; reçu la Légion d’honneur.
  • Un lycée scientifique porte aujourd’hui son nom à Tours.

Innovations & découvertes : les Tourangeaux qui ont marqué leur temps

Charles Dupin (1784-1873) : le mathématicien qui colorait la France

Si le nom de Charles Dupin reste surtout attaché à la “carte de Dupin” – première vraie carte statistique par département (1826) qui a marqué l’histoire de l’infographie –, il fut aussi un inventeur prolifique, originaire de Varennes-sur-Loire, à quelques lieues de Tours, et élève du lycée de la ville. Mathématicien hors pair, ingénieur et académicien, Charles Dupin introduit la pédagogie active dans l’enseignement scientifique français et initie une révolution visuelle dans la statistique : ses cartes en couleurs divisant la France selon le niveau d’alphabétisation et d’industrialisation sont, en quelque sorte, les ancêtres du data-journalisme moderne.

  • Première carte “choroplèthe” (coloriée selon les valeurs) publiée en 1826, une innovation mondiale (OpenEdition Journals).
  • Surnommé “Dupin l’Omnibus” pour sa capacité à enseigner la science à tous.
  • Élu à l’Académie des Sciences, inventeur de la notion de “courbe de Dupin” en géométrie différentielle.

Paul Louis Simond (1858-1947) : celui qui mit la peste en cage

Même s’il est né à Saint-Paul-lez-Durance, Simond est un pur produit des études tourangelles, ayant fait son lycée et ses débuts à Tours. Il reste célèbre pour avoir identifié, en 1898, le rôle des puces du rat dans la transmission de la peste bubonique, révolutionnant ainsi la compréhension des épidémies. Issu de la grande tradition médicale tourangelle, Simond a découvert lors de ses recherches en Asie que la puce (Xenopsylla cheopis) jouait le rôle de vecteur, permettant de lutter efficacement contre la propagation de la maladie.

  • Découverte publiée en 1898 à l’Institut Pasteur (Source : Pasteur.fr)
  • Simond a dirigé l’Institut Pasteur de Saigon et de Bombay jusqu’en 1910.
  • Ses expériences ont permis de sauver des milliers de vies en plein contexte colonial.

Des Tours dans l’éducation et la communication scientifique

Henri-Louis Duhamel du Monceau (1700-1782) : la nature à cœur ouvert

Qu’on lui associe Rochecorbon, La Bourdaisière ou encore le Jardin des Plantes de Tours, Duhamel du Monceau appartient à cette génération d’encyclopédistes du XVIII siècle, à la croisée des Lumières et du monde rural. Il fut à la fois agronome, botaniste, ingénieur, et vulgarisateur passionné.

  • Publia plus de 20 traités entre 1727 et 1768 sur l’agriculture, la botanique, la marine et la physique.
  • Contributeur actif de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
  • Mit au point de nouvelles méthodes de greffe et d’irrigation expérimentées dans la plaine de Tours.
  • Son best-seller, (1755), influença l’arboriculture européenne.

René Poyen (1913-2002) : l’inventeur de l’école des astronomes amateurs

Natif de Tours, René Poyen fut le fondateur de l’Astro-Club de Tours dans les années 1950, alors que la conquête spatiale fascinait la planète. Humaniste, vulgarisateur infatigable, il mit à la portée de tous les mystères de l’univers : ses soirées d’observation sur les bords de Loire ont fait naître des vocations d’astronomes amateurs dans toute la Touraine.

  • Auteur de guides d’initiation à l’astronomie.
  • Plus de 200 conférences publiques organisées à Tours et aux alentours (sources archives municipales).
  • Son “astrodome” portatif équipe encore plusieurs écoles de Tours.

Des femmes de science au cœur de la Touraine

Bien des noms féminins mériteraient une mise en lumière, quand la tradition voulait souvent les confiner à l’ombre. Parmi elles, citons :

  • Jeanne Villepreux-Power (1794-1871) : Née à Juillac, arrivée à Tours jeune fille, elle inventa le premier aquarium de recherche pour ses travaux de biologie marine en Italie dans les années 1830 (Source : ). Aujourd'hui encore, sa méthode est enseignée dans l’étude des mollusques.
  • Marie Le Masson Le Golft (1749-1826) : D’abord institutrice à Tours, elle fut l’auteure de plusieurs traités de botanique et de physiologie, diffusés dans toute la France à l’époque des Lumières. Elle défendit l'accès des femmes aux sciences naturelles.

La postérité scientifique à Tours : recherche, université, innovation

Sans même parler des natifs, Tours a vu grandir des esprits venus d’ailleurs pour rayonner depuis la ville elle-même. On pense au CHRU, à l’Université de Tours ou encore à l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation (IEHCA), moteur de recherches sur l’histoire et la sociologie de l’alimentation.

  • Près d’1 habitant sur 10 travaille dans un secteur de la santé, de la pharamacie ou de la recherche (Source : INSEE, chiffres 2023).
  • Tours est le siège du Laboratoire de Planétologie et Géodynamique, impliqué dans différentes missions spatiales européennes.

Où en croiser encore la trace aujourd’hui ?

Si l’envie vous prend de marcher sur les traces de ces faiseurs de découvertes, la ville se prête volontiers au jeu. Voici quelques haltes pour une exploration inspirée, à compléter selon la curiosité :

  • La Bibliothèque municipale (rue Nationale) : fonds patrimoniaux accessibles sur rendez-vous.
  • Lycée Jacques de Vaucanson et Lycée Jacques-Marie Hénon.
  • Jardin botanique de Tours : visites guidées, animations autour de la botanique et de l’histoire naturelle.
  • L’Astro-Club de Tours pour des soirées d’observation du ciel.

La Ville de Tours a également labellisé plusieurs parcours sur le thème des “femmes scientifiques” et des “savants tourangeaux”. Renseignez-vous auprès de l’Office de Tourisme !

Continuer l’exploration…

L’histoire scientifique de Tours ne se résume pas aux prémices du siècle des Lumières ou à quelques bustes oubliés. Elle se réinvente, fidèle à l’esprit inattendu de la ville, dans les campus, les hôpitaux, les cercles de jeunes chercheurs ou les associations qui font de la recherche une aventure à ciel ouvert. Restez curieux : un détail de rue ou un nom sur une plaque pourrait bien être la première page de votre prochaine découverte...

Sources principales : INSEE, Archives municipales de Tours, OpenEdition Journals, Société Astronomique de France, Institut Pasteur, Bibliothèque nationale de France, BBC.