19 septembre 2025
Dans la lumière oblique de la Loire, beaucoup croient qu’aucune femme n’a marqué l’histoire locale. Pourtant, la ville regorge de destins féminins inspirants, souvent passés sous silence.
Première femme journaliste à Tours, Claire Denoix fonde en 1903 « La Gazette du Centre », où, entre articles incisifs et reportages de terrain, elle lutte pour les droits des femmes et pour l’accès à l’éducation populaire. On lui doit aussi la première campagne de levée de fonds pour les familles des ouvriers du site de Grammont touchés par la crise de 1914. (Source : Fonds patrimonial de la Bibliothèque municipale de Tours)
En 1907, Élise Mercier organise le premier « cercle de réflexion féministe » de la ville. Dans le salon feutré d’une maison du quartier Blanqui se tiennent débats et ateliers d’écriture clandestins, parfois surveillés de près par la police locale. Une plaque apposée en toute discrétion sur la façade du 5 rue Danton rappelle son existence (faites-y halte lors de votre prochaine balade !).
Moins connue que son époux médecin, Geneviève Billon sert de relais pour la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale. Dans l’arrière-boutique de la pharmacie familiale, elle cache des messages codés et des identités falsifiées, permettant à une trentaine de personnes de rejoindre la zone libre entre 1942 et 1944 (Archives départementales d’Indre-et-Loire, fonds Résistants locaux).
À Tours, les sciences ne sont pas réservées aux amphithéâtres de la faculté. La ville fut un terrain d’expériences, parfois visionnaires, menées par des esprits aussi curieux que peu célébrés.
Pharmacien modeste mais passionné de biologie, Chavanne est à l’origine de la découverte du rôle du calcium dans la prévention du rachitisme, dès 1892, bien avant la vulgarisation des traitements. Le collège Chavanne lui rend hommage, mais peu savent encore relier le nom à ce « bienfaiteur des enfants pauvres », comme l’avait titré la Nouvelle République en 1935.
Installé rue de la Scellerie, Hallé popularise la photographie couleur par la technique de l’autochrome dès 1908. On lui doit des clichés inédits de la vie quotidienne tourangelle, conservés aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts, précieux témoins d’une époque entre deux siècles (voir : « Photographies oubliées de Touraine », exposition 2021, Ville de Tours).
À l’origine du premier système de distribution de l’eau à pression pour des quartiers populaires (quartier Beaujardin, 1879), Sorreau reverse ses recettes pour la création de l’école laïque primaire du secteur. Ce geste humaniste après une épidémie de fièvre typhoïde sauvera, selon les registres municipaux, plusieurs centaines d’enfants au tournant du XX siècle.
Le prestige de Ronsard ou Balzac écrase parfois la constellation d’artistes tourangeaux, éclipsant leurs contemporains moins bruyants, mais tout aussi fascinants.
À la différence des grands noms, Paumier capte le quotidien de la population ouvrière, dessinant ruelles du Vieux-Tours et marchés, maintenant exposés plus souvent à l’étranger qu’au sein des musées de la ville.
En 1953, la mairie confie à Chérel les décors de la Poste centrale (rue Jehan Fouquet). Sa mosaïque à la gloire de la Loire, quelque peu oubliée du grand public, fait l’objet d’une redécouverte par plusieurs associations de sauvegarde du patrimoine en 2023 (Patrimoine de Tours).
Directeur du conservatoire de Tours dans les années 1970, Castel fonde le premier festival de musique contemporaine (1974), réunissant Ligeti et Xenakis alors quasi-inconnus du grand public tourangeau. Admiré de ses pairs, il reste pourtant absent de presque tous les récits culturels aujourd’hui.
La Résistance à Tours, ce n’est pas qu’une rue ou une plaque. C’est aussi une multitude d’individus, souvent effacés derrière la mémoire collective, dont l’engagement local fut déterminant pour la survie et la résilience de la ville.
Dans son imprimerie du quartier Velpeau, Roiné entreprend dès 1942 la fabrication de faux papiers pour aider Juifs, résistants et réfractaires au STO. Plus de 450 faux documents sont recensés à la Libération (source : Mémorial du CRRL, Tours).
Le 19 juin 1944, Tours subit l’attaque alliée la plus meurtrière : plus de 300 civils tués (source : Archives municipales de Tours). Léa Pascal, jeune infirmière alors en poste à l’hôpital Bretonneau, coordonne spontanément l’accueil des blessés dans les caves des immeubles épargnés. Pendant plus de 48 heures, elle assure soins, secours et soutien psychologique, avant que l’intendance n’arrive en renfort.
Certains héros restent invisibles car leur action est ancrée dans la vie quotidienne – éducateurs, associatifs, figures populaires ayant recréé du lien social.
Bigeard modernise la ceinture sud de la ville après les destructions de 1918, mettant en œuvre un plan d’urbanisme inclusif pour loger dignement ouvriers et migrants. Ses réalisations inspirent ensuite la politique municipale jusqu’à la fin des années 1960.
Dès 1982, dans le quartier des Fontaines, Ben Lahcen fédère les jeunes autour de l’AS Touraine Solidaire, club omnisports qui verra éclore plusieurs champions régionaux. Toujours actif en 2024, son engagement intergénérationnel contribue aujourd’hui à la vitalité du quartier (cf. La Nouvelle République, archives sportives).
Découvrir ses héros méconnus, c’est tisser un autre lien avec la ville. Ces figures locales nous rappellent que bien souvent, l’histoire ne se joue pas seulement dans les manuels ou sur les façades magistrales, mais aussi dans le discret engagement quotidien, les innovations modestes portes ouvertes, le partage et la solidarité de l’ombre. Si l’on y prend garde, ces mémoires vivantes ou silencieuses peuvent nourrir la façon dont chacun, à Tours ou ailleurs, rêve, construit et réinvente son territoire. Ouvrez l’œil lors de vos prochaines pérégrinations : derrière chaque nom gravé ou effacé, autant de portes qui n’attendent qu’à être poussées.