Au cœur des tours médiévales de Tours : révélations et mystères d’un patrimoine inattendu

Plonger dans les ombres : la naissance des premières tours médiévales à Tours

Au fil des ruelles pavées, difficile d’imaginer qu’entre les boutiques et les terrasses animées, des siècles de stratégie, de rivalités et de pouvoir se sont joués derrière les pierres. Mais d’où viennent ces tours médiévales de Tours ? Quelle était leur vraie utilité, ailleurs que sur les cartes postales ou sous les projecteurs illuminant la ville la nuit ?

La présence de nombreuses tours dans Tours remonte essentiellement aux XI et XII siècles, lorsque la cité se dote d’enceintes pour se défendre contre les incursions normandes, puis françaises ou anglaises. À cette époque, la ville n’est pas unifiée : jusqu’au milieu du Moyen Âge, on distingue la ‘Cité’ (autour de la cathédrale) de la ‘Châteauneuf’ (devenue aujourd’hui le ‘Vieux Tours’), deux véritables villes rivales séparées par une enceinte, chacune jalonnée de tours défensives (source : Histoire de Tours, Presses Universitaires François-Rabelais).

  • Vers 1200, l’enceinte médiévale de Tours comptait près de 70 tours, des chiffres impressionnants qui témoignent du rôle militaire de la ville (Vincent Droguet, Archives municipales de Tours).
  • Ces constructions massives étaient parfois réutilisées ou modifiées sur des bases gallo-romaines, le recyclage du patrimoine étant une constante dans l’histoire tourangelle.

Le donjon du Château de Tours : entre geôles, résistances et fresques cachées

Parlons du plus emblématique : le donjon du Château de Tours. Altier, presque secret dans le jardin François Ier, il trône depuis la seconde moitié du XI siècle. Ce que les promeneurs ignorent souvent, c’est que cet édifice n’a pas servi qu’à dominer la Loire !

  • Il fut le témoin de sièges violents, notamment lors de la guerre de Cent Ans où Gilles de Rais (le tristement célèbre Barbe Bleue) y aurait séjourné en tant que ‘stratège’ plutôt qu’ennemi (Chroniques de Froissart).
  • Utilisé comme prison dès le XVe siècle, le donjon abrita galériens et opposants. En 1793, des royalistes y sont incarcérés pendant la Révolution.
  • Il renferma longtemps une fresque murale datée autour de 1240 représentant des scènes héraldiques, retrouvée par hasard sous un badigeon lors de travaux dans les années 1970 (conservée aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts).

Preuve que sous la sévérité de ses murs, l’art et l’histoire murmurent des secrets inattendus.

Sous les pavés, des mystères : les tours « disparues » et vestiges cachés

Entre 1856 et 1860, lors du percement de la rue Nationale voulu par le baron Haussmann, une grande partie des anciennes tours tombe sous le pic des démolisseurs. Plusieurs d’entre elles ont pourtant laissé des indices… souvent dissimulés dans des caves de restaurants ou sous des maisons particulières du centre-ville.

  • Lors de la démolition de la Tour des Boulets en 1884, des archéologues découvrent plus de 600 projectiles et boulets de pierre – témoignages des affrontements contre les Anglais (voir étude “Les Fortifications de Tours”, Revue d’histoire urbaine, 2011).
  • Certaines tours s’intègrent aujourd’hui dans le bâti moderne : la Tour de Guise, par exemple, sert en partie de mur de clôture à un jardin privé, invisible depuis la rue.

Côté accessible, il reste la Tour Charlemagne (rue des Halles) et la Tour de l’Horloge, toutes deux érigées sur les ruines de la Basilique Saint-Martin.

L’héritage des grands hommes : la Tour Charlemagne et la quête des reliques

Plus qu’une curiosité architecturale, la Tour Charlemagne s’érige en symbole des liens entre Tours et la royauté. Construite au XI siècle en l’honneur du passage supposé de Charlemagne à Tours au IX siècle, elle garde surtout le souvenir de la puissante influence religieuse de la ville.

La nouvelle basilique Saint-Martin attire dès le Xe siècle des foules de pèlerins, si bien que la légende court : chaque étage de la tour, dont l’accès est réservé aux clercs, servirait à abriter des reliques précieuses – notamment un fragment réputé authentique du manteau de Saint Martin.

D’ailleurs :

  • Le sommet de la Tour Charlemagne offre aujourd’hui une vue imprenable sur la cité, mais servait autrefois aussi de tour de guet contre les incendies, redoutés dans ce Labyrinthe de maisons à pans de bois.
  • Fragilisée par l’incendie de la Saint-Jacques en 1928, la tour fut miraculeusement épargnée lors des bombardements de 1940, alors que toute la basilique fut détruite.

La Tour de l’Horloge : symbole du passage entre Moyen Âge et Renaissance

Véritable sentinelle du Vieux Tours, la Tour de l’Horloge s’élève sur les fondations de la porte sud de l’antique basilique Saint-Martin. À partir du XIV siècle, elle assume un rôle nouveau : marquer le passage du temps pour la cité grandissante, rivalisant d’importance avec la cathédrale.

Quelques faits insolites :

  • Après l’installation de sa première horloge en 1550, la tour était sonorisée par un maître-carillonneur chargé de rythmer la vie urbaine ; au XVIII siècle on venait de toute la région l’entendre « chanter midi » les jours de marché.
  • Elle a servi temporairement de beffroi municipal lors de la Révolution, ce qui explique la destruction de ses armes royales (un vestige de l’iconoclasme révolutionnaire que l’on distingue encore aujourd’hui sur une pierre ébréchée, côté est).

Vie quotidienne, légendes et histoires obscures : les tours au fil des siècles

Au-delà des grands récits officiels, chaque tour cache des épisodes de vie quotidienne – et parfois, des anecdotes bien moins sages :

  • Selon un registre municipal de 1421, la tour aujourd’hui disparue de la Porte Saint-Éloi a servi de refuge à un incendiaire poursuivi par la population, lequel n’en sortit qu’au bout de cinq jours après négociation (Archives municipales).
  • La nuit, on raconte dans le quartier Plumereau que des silhouettes apparaissent parfois près de la Tour Charlemagne. Selon la tradition orale, il s’agirait des âmes errantes des ouvriers du chantier de la basilique, ensevelis sous des effondrements successifs – une légende qui fait toujours sourire les riverains.
  • Les caves de la Tour de Guise renferment encore aujourd’hui des niches à pigeons ; ces volatiles servaient de messagers en temps de siège (une tradition qui perdure dans les armoiries locales).

Pour qui observe les pierres de près, de mystérieux graffiti d’époque (croix, outils, blasons) restent lisibles sur certains parpaings. Ils témoignent de la présence d’artisans et de moines ayant marqué de leur passage ces forteresses de pierre.

Rendez-vous avec le patrimoine vivant : explorer les tours aujourd’hui

Si certaines tours ne sont plus visibles qu’au détour d’un mur ou d’un parc, leurs histoires s’animent régulièrement lors de visites guidées ou d’animations patrimoniales.

  • La Tour Charlemagne se visite : l’ascension en 248 marches offre une plongée directe dans l’épaisseur du Moyen Âge (Information : site officiel Ville de Tours).
  • Le donjon du Château de Tours accueille expositions et événements (entrée gratuite le premier dimanche du mois).
  • Des parcours de ‘street archaeology’ locaux invitent à repérer d’anciennes tours dissimulées dans les caves, restaurants et hôtels particuliers (programme disponible auprès de l’Office du Tourisme).

À noter : plusieurs restaurateurs du Vieux Tours perpétuent la tradition, installant leurs caves à vin dans d’anciennes bases de tours, généralement humidifiées, souvent pleines de charmes et d’histoires à raconter si vous osez pousser la porte.

L’inattendu dans l’ordinaire : pistes pour (re)découvrir les tours de Tours

  • Flânez rue des Halles : observez les traces au sol indiquant les anciens contours de la basilique et des deux dernières tours encore en élévation.
  • Certains hôtels particuliers du boulevard Béranger intègrent à leur cour des pans entiers de murs médiévaux, reliques de tours disparues après la modernisation de la fin du XIX siècle.
  • Pour les amateurs de mystère, guettez les portes dérobées dans le quartier Mirabeau : on y devine l’amorce de petites tours semi-circulaires, autrefois utilisées pour surveiller les entrepôts du port fluvial.

Observer, lever la tête, pousser une porte… c’est là que commence la redécouverte de l’inattendu, où chaque pierre raconte une histoire différente. Les tours de Tours sont loin d’avoir livré tous leurs secrets, et seules l’audace ou la curiosité permettent d’en deviner quelques nouveaux chapitres.

Sources principales : Revue d’histoire urbaine ; Archives municipales de Tours ; Ville de Tours ; Presses Universitaires François-Rabelais ; Musée des Beaux-Arts de Tours