21 août 2025
Flâner rue Briconnet, lever les yeux sur une enseigne tordue place Foire-le-Roi, pousser la porte grinçante d’un établissement tout en pans de bois… Dans les ruelles du cœur historique de Tours, l’ombre des vieilles auberges flotte encore. Elles n’ont rien oublié : ni le parfum du ragoût, ni les éclats de voix, ni les intrigues – petites ou grandes – qui ont traversé leurs murs. S’il est aisé d’imaginer ces maisons de passage comme de simples haltes, c’est pourtant tout un monde qui gravitait autour d’elles, des bateliers de Loire aux pèlerins de Compostelle en passant par les saltimbanques et les drapiers.
Au XVI siècle, la ville de Tours, première étape majeure sur la route de Paris à Bordeaux, comptait jusqu’à plus de 120 auberges officielles (Source : Archives municipales de Tours). Un chiffre impressionnant : il s’explique par la double vocation commerçante et religieuse du Vieux-Tours, situé sur l’un des principaux chemins de pèlerinage d’Europe.
Nul besoin de document officiel pour flairer la créativité tourangelle dans les enseignes. Ici, pas de “Hôtel Central” ou d’”Auberge du Commerce”. Au fil des siècles, on osait : Au Coq Hardi, Au Chien Qui Fume, À la Truie Qui File, Aux Trois Pucelles, Au Griffon d’Or… L’animal, réel ou légendaire, investissait portes et heurtoirs, illustrant joyeusement l’établissement (et facilitant la tâche des visiteurs les moins lettrés).
Certaines auberges du Vieux-Tours ont vu passer des personnages autrement plus flamboyants que les simples colporteurs. L’auberge “À l’Écu de France”, aujourd’hui occupée par un discret immeuble au 22 rue de la Monnaie, hébergea en 1539 le poète Clément Marot lors d'une halte impériale de François Ier (Source : Paul Vitry, Tours, Ville d’Art et d’Histoire, 1926).
On raconte aussi que Rabelais, natif de la région, voulait absolument “boire la première chopine de l’année” dans chaque estaminet de la rue Colbert, ce qui finit par lui valoir de dormir plus d’une nuit dans la soupente “Au Pot de Fer”.
Que serait l’auberge sans son ballet sans fin ? Marchands, voyageurs, commis, candidats au miracle, tire-laine, et même courtisans en mission secrète : tous se retrouvaient là pour boire, manger, dormir et refaire le monde. Les affaires les plus sérieuses ou farfelues s’y tramaient avec autant d’ardeur que les festins qu’on y partageait.
L’auberge était aussi le théâtre de scènes plus tendres. Plusieurs registres anciens font état de naissances imprévues après une halte prolongée, d’adoptions impromptues ou de mariages naissants, souvent scellés sur l’oreiller plutôt que par-devant le prêtre.
Ce n’est pas sans raison que le visiteur rêveur se perd parfois dans le Vieux-Tours. Derrière les volets clos, la ville cache d’étonnants vestiges. Plusieurs anciennes auberges, bien que reconverties, laissent deviner leur vocation originelle :
Le patrimoine bâti a également pâtit de l’évolution urbaine. D’après l’Inventaire général du patrimoine culturel (Région Centre-Val de Loire), seules 13 façades d’auberges médiévales ou Renaissance sont aujourd’hui reconnues et préservées dans le périmètre historique du Vieux-Tours.
Certaines histoires, nourries de demi-vérités et d’exagérations, sont devenues des légendes à part entière. Ainsi, le fantôme du “Chat Noir” continuerait de hanter la rue Briçonnet, entre deux effluves de calvados, s’invitant parfois sous forme de silhouette à la fenêtre quand la brume tombe sur la ville.
Plus poétique, la tradition des chansons de taverne : jusqu’au début du XX siècle, les sociétés bachiques se réunissaient “Aux Deux Lions” pour improviser des balades paillardes sur la politesse tourangelle et les mérites du vin de Vouvray. Le dernier recueil connu date de 1927 (Source : Archives Départementales d’Indre-et-Loire).
D'autres mythes touchent à la grande histoire : on prête à une auberge désormais disparue le mérite d'avoir hébergé une nuit Charles VII et sa favorite Agnès Sorel, sous les huées des badauds jaloux, dans une chambre dont la cheminée subsiste au 18 rue de la Paix. Aucune preuve, bien sûr, mais l’adresse continue d’attirer curieux et amateurs de glamour.
Au XXI siècle, la plupart des véritables auberges du Vieux-Tours ont disparu ou ont été transformées en restaurants branchés, en galeries d’art ou en appartements. Pourtant, leur esprit continue d’irriguer la vie du centre-ville. Plusieurs établissements perpétuent la tradition :
La nouvelle génération apprécie cet héritage : les balades nocturnes “Sur les traces des vieilles auberges du Vieux-Tours”, organisées chaque année pendant les Journées du Patrimoine, affichent complet (source : Office du Tourisme de Tours, 2023).
Pour celles et ceux qui souhaitent prolonger l’expérience, rien de tel que de partir à la rencontre de ces lieux chargés d’histoires. Voici quelques conseils pour explorer les anciennes auberges du Vieux-Tours :
Dans les recoins du Vieux-Tours, les anciennes auberges ne dorment jamais tout à fait. Aller à leur rencontre, c’est découvrir l’art de mélanger festivités, rencontres et histoires avec une pincée de mystère. Si leur décor ou leur vocation ont évolué, leur capacité à éveiller la curiosité demeure intacte. Et qui sait ? À la prochaine porte poussée, peut-être que la vieille ville murmurera encore une anecdote dont elle a le secret.