Saint Martin à Tours : le visage spirituel et populaire d’une ville inattendue

Saint Martin : un destin à contre-courant, des légendes à la pelle

Impossible de déambuler dans Tours sans croiser le nom de Saint Martin au détour d’une rue, d’un vitrail, ou d’un bistrot accueillant. Sa silhouette, entre le centurion romain et l’évêque en manteau, hante l’imaginaire local. Mais derrière l’image pieuse, qui était vraiment Saint Martin ? Et pourquoi ce personnage joue-t-il encore un si grand rôle à Tours et bien au-delà ?

Un homme entre deux mondes : naissance et jeunesse de Martin

Martin naît vers 316 à Sabaria, en Pannonie (l’actuelle Hongrie) au sein d’une famille de militaires romains. Tout est déjà écrit pour qu’il suive la voie de l’armée impériale. Mais le jeune homme montre vite un tempérament atypique et un intérêt profond pour la foi chrétienne, encore minoritaire dans l’Empire alors tout juste toléré (édit de Milan, 313).

À 15 ans à peine — l’âge de nos lycéens d’aujourd’hui — il s’engage par la force des choses dans la cavalerie. C’est au cours de ce service qu’il vit sa fameuse rencontre avec un mendiant transi de froid aux portes d’Amiens : Martin fend son manteau pour en remettre la moitié au malheureux. Cet acte — plus profond qu’il n’y paraît — deviendra le symbole même du partage chrétien, le geste fondateur d’une légende.

  • Date clé : 334 - partage du manteau d’après Sulpice Sévère
  • Anecdote : Le fameux « manteau » était en fait une cape militaire, appelée cappa, qui donnera plus tard le mot « chapelle » (source : Dictionnaire historique de l’Église)

De soldat à évêque : une vie tournée vers l’autre

Véritable original pour son temps, Martin quitte finalement l’armée, destiné à la vie monastique. Il rejoint Hilaire de Poitiers, devient ermite à Ligugé, puis fonde la première communauté monastique des Gaules : le « Marmoutier », juste à la sortie nord de Tours. En 371, contre son gré (et selon la légende, caché dans une basse-cour), il devient évêque de Tours, porté par l’enthousiasme populaire.

Étapes-clésLieuPériode
NaissanceSabaria (Hongrie)316
ConversionAmiensv. 334
Vie monastiqueLigugé, puis Marmoutier (Tours)360 à 371
ÉpiscopatTours371-397

Martin se démarque par son engagement auprès des pauvres, son refus des richesses et son combat contre le paganisme — mais sans violence, préférant la persuasion, l’exemple, et parfois… quelques miracles ! Il combat les superstitions locales et se fait bâtisseur de ponts entre les populations gallo-romaines et les premières communautés chrétiennes.

Miracles, anecdotes et mythes : l’aura grandissante du « Bon Saint Martin »

Martin devient rapidement une figure quasi-légendaire, surtout après sa mort en 397. Son biographe, Sulpice Sévère, relate une vie ponctuée de miracles et d’histoires qui traversent les siècles :

  • La résurrection du jeune Paolino, l’un de ses miracles les plus célèbres, rapporté en détail par Sulpice Sévère (Vita Martini, Bibliothèque nationale de France).
  • L’éclair aux reliques : après sa mort, le transfert de son corps vers Tours aurait été accompagné d’une pluie de miracles, notamment la floraison des arbres en automne sur son passage, restée dans l’expression « été de la Saint-Martin ».
  • Le manteau devenu relique / Capella : au Moyen Âge, la « cappa » aurait accompagné les rois mérovingiens en campagne militaire, conservée dans une chapelle, entourée de puissants serments.

Son culte ne cesse de croître : dès le Ve siècle, la basilique Saint-Martin attire pèlerins, malades et dignitaires de tout l’Occident.

La basilique Saint-Martin : cœur battant de la légende

Impossible de parler de Saint Martin sans raconter l’épopée de sa basilique. La première tombe, toute simple, fut érigée en 397, peu après sa mort. Mais la ferveur chrétienne change la donne : au fil des siècles, la modeste chapelle grandit, jusqu’à devenir l’une des plus grandes basiliques romanes d’Occident, rivalisant avec Saint-Pierre de Rome au XII siècle (source : Monographie de la basilique Saint-Martin de Tours, Jean-Marie Crozaz).

  • Près de 10 000 pèlerins lors de la Saint-Martin au Moyen Âge
  • Chaque année, plus de 150 000 visiteurs aujourd’hui pour la basilique actuelle (source : Office de Tourisme de Tours)

La basilique subit pillages, guerres de Religion, Révolution : elle est détruite en grande partie à la fin du XVIII siècle, remplacée par de modestes maisons… La crypte et les vestiges subsistent toutefois. C’est au XIX siècle que la basilique actuelle renaît, grâce à l’acharnement du curé Meignen — thème chéri des visites insolites : repérer, à travers le quartier, les traces de l’ancienne basilique (notamment la Tour de Charlemagne et la Tour de l’Horloge).

Saint Martin : figure tutélaire et populaire, d’hier à aujourd’hui

L’influence sur la ville de Tours

Peu d’habitants le savent, mais Tours doit en grande partie à Saint Martin sa prospérité dès le haut Moyen Âge. Les premiers pèlerinages dopent l’économie locale : hôtelleries, artisans du vitrail, orfèvres… sans parler du marché des reliques. Martin attire les foules, fédère les quartiers : aujourd’hui encore, aucun Tourangeau ne s’étonne de voir son effigie partout, des armoiries de la ville jusqu’aux noms de rues (plus de 200 édifices dans le monde portent aujourd’hui le nom de Saint Martin).

  • Le quartier Saint-Martin, autrefois en périphérie de la cité antique, devient rapidement un centre spirituel majeur.
  • De nombreuses fêtes populaires (processions, feux de Saint-Martin) rythmaient la vie locale jusqu’au XIX siècle.

Saint Martin et l’identité tourangelle

Bien au-delà du religieux, Saint Martin fédère toutes les générations. Il est encore célébré laïquement lors de la « nouvelle Saint-Martin » en novembre, occasion de dégustations et d’animations. C’est aussi l’emblème du partage, souvent invoqué dans les actions de solidarité locale.

ÉvénementDateDescription
Nuit des ÉvêquesprintempsVisites nocturnes, parcours lumière autour de la basilique
Pèlerinage Saint-Martin11 novembreRassemblement religieux et festif, convivialité assurée
Nouveaux parcours « Sur les pas de Saint-Martin »toute l’annéePistes pour petits et grands, initiations guidées ou libres

Les écoles, les associations et même certains commerces continuent de puiser dans son héritage pour valoriser un « art du vivre-ensemble », signature discrète du « bel esprit tourangeau ».

Des lieux et légendes à explorer : sur les traces de Saint Martin à Tours

Partir sur les pas de Saint Martin, c’est enfiler ses baskets et voyager entre les siècles :

  • La basilique et la crypte : ouvertes à la visite, elles dévoilent un tombeau impressionnant, des mosaïques contemporaines, et une incroyable acoustique lors des offices.
  • Les rues du vieux Tours : la rue des Halles, la Place du Grand Marché (place Saint-Martin), et l’axe historique de la basilique au Château de Tours, constituent un itinéraire idéal.
  • Les vestiges du Marmoutier : l’ancien monastère sur les hauteurs de Sainte-Radegonde offre un panorama bluffant sur la ville et la Loire.
  • Les statues et vitraux cachés : dispersés dans des lieux parfois inattendus (côté nord de la cathédrale, dans la chapelle Saint-Bienheuré, ou sur certains ponts), ils témoignent de la fascination constante pour le saint.

Visiter Tours, c’est aussi se laisser surprendre par le nombre de représentations de Martin sur les bâtiments civils, les bornes routières, voire dans le mobilier urbain moderne.

Une figure européenne et universelle : le « Martinisme » au-delà de Tours

Saint Martin n’est pas une exclusivité tourangelle : il est l’un des saints les plus populaires d’Europe occidentale. Plus de 4 000 églises lui sont dédiées en France, et son culte franchit les Pyrénées et les Alpes. On retrouve sa mémoire en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie, en Hongrie bien sûr, mais aussi en Amérique latine.

  • Patron de 222 communes françaises (source : INSEE, 2023)
  • Martin a inspiré la tradition de la « fête des lanternes » en Allemagne (Sankt Martinsfest), symbole de solidarité
  • Le « Vin nouveau de la Saint-Martin » est célébré à travers de nombreuses régions viticoles, y compris en Touraine !

Cette dimension universelle explique la présence régulière de pèlerins venus du monde entier à Tours – qui est, avec Rome et Saint-Jacques, une étape majeure sur les routes de pèlerinage médiévales.

Pistes pour (re)découvrir Saint Martin… inattendu

Celle ou celui qui regarde Tours autrement n’a jamais fini de s’étonner. Suivre les chemins de Saint Martin, c’est autant une promenade qu’une leçon d’histoire vivante. Chacun pourra, à sa façon, choisir sa porte d’entrée : une visite guidée, un parcours en famille, ou simplement une halte émue devant une statue de marbre discrète au coin d’une ruelle. L’essentiel ? Garder le goût de l’émerveillement – celui qui animait Martin lui-même, au quotidien, à la rencontre des habitants de son temps… et du nôtre.

Pour approfondir :