18 octobre 2025
Si l’on se balade dans Tours, difficile de ne pas tomber sur son nom : rue, lycée, statues… Mais derrière “Grégoire de Tours”, qui se cachait vraiment ? Né en 538 à Clermont-Ferrand (Arvernis, pour les puristes du latin), Grégoire n’était pas à l’origine un Tourangeau, mais c’est bien ici, en Touraine, qu’il a laissé sa plus profonde empreinte. Issu d’une famille aristocratique gallo-romaine, il continue rapidement la tradition familiale : celle de l’épiscopat. Car à cette époque, on hérite parfois d’un évêché comme d’un bon vignoble.
Il devient évêque de Tours à l’âge de 35 ans en 573, à une époque où la Gaule est secouée par les querelles mérovingiennes et les élans de foi. Grégoire n’est pas qu’un homme d’Église : il est aussi un conteur infatigable, le témoin des soubresauts de son temps, et, surtout, un “passeur de mémoire”. Il passe vingt et une années à la tête de l’évêché, jusqu’à sa mort en 594.
Ce qui fait de Grégoire une figure à part, c’est sa capacité à raconter. Laissez tomber l’image poussiéreuse de l’évêque lanterne à la main : Grégoire de Tours, c’est d’abord l’historien de référence du VIe siècle. Son œuvre la plus célèbre, les Dix Livres d’Histoire (Historiae ou Historia Francorum), nous plonge dans le quotidien de la Gaule mérovingienne, entre règlements de comptes familiaux, miracles, et anecdotes croustillantes.
Les chercheurs contemporains avouent : sans Grégoire, ce pan entier de notre histoire serait un gouffre. Source : Cairn.info
Grégoire a beau être obsédé par l’histoire, il n’en oublie pas son job d’évêque. À Tours, il s’attache à défendre et promouvoir le culte du grand saint local : Martin de Tours, l’ancien soldat romain devenu apôtre gaulois, canon préféré des Tourangeaux.
Sous l’impulsion de Grégoire, la ville devient l’une des principales étapes de pèlerinage de l’Occident : la basilique Saint-Martin attire les malades, les démunis, les puissants aussi (Clovis y passera). Avec pragmatisme, Grégoire fait construire, agrandir, rénover :
Cette promotion forcenée du culte de Martin contribue à l’enrichissement et au rayonnement culturel de la ville. Vers 590, on estime que plusieurs dizaines de milliers de pèlerins passaient chaque année par Tours, venant à pied de tout le royaume franc. Source : Persée Médiéval
Après sa mort, Grégoire est enterré dans la basilique Saint-Martin, scellant la relation indéfectible entre l’homme et la ville. Mais son héritage ne s’arrête pas là : de la toponymie aux œuvres d’art, il traverse les siècles et façonne encore la ville d’aujourd’hui.
Sans parler des festivités annuelles qui, chaque automne autour du 11 novembre, célèbrent la mémoire de saint Martin et, par extension, celle de Gréire, son promoteur le plus farouche.
Pour approfondir, l’ouvrage “La société dans l’œuvre de Grégoire de Tours” (André Loyen, 1947, CNRS éditions) propose une plongée fine dans son style et sa vision du monde.
Un dernier conseil d’initié : guettez les expositions temporaires consacrées à l’histoire religieuse de Tours. Elles offrent régulièrement de superbes documents sur Grégoire et ses contemporains (par exemple lors des “Journées du patrimoine”).
Garder les yeux ouverts en se promenant dans Tours, c’est croiser Grégoire à chaque coin de rue, ou presque. Plus qu’un simple évêque ou auteur, il est le grand médiateur entre la ville, sa mémoire et sa légende. Par sa plume, il a offert à Tours une visibilité et une aura qui rayonnent aujourd’hui bien au-delà de la Touraine. Plus subtil, il a donné à la ville une tradition d’accueil, de curiosité et d’hospitalité. Fondateur à la fois spirituel et “influenceur” avant l’heure, Grégoire est aussi l’un de ces témoins dont l’œuvre ne cesse d’intriguer et de susciter de nouveaux regards.
La prochaine fois que vous flânerez dans le vieux Tours ou que vous franchirez le seuil de la basilique Saint-Martin, pensez à ce chroniqueur têtu. Son héritage n’appartient pas qu’aux historiens : il est, encore aujourd’hui, la meilleure des invitations à s’aventurer au cœur de Tours l’inattendue.