3 octobre 2025
En évoquant le nom de Grégoire de Tours, difficile d’imaginer à quel point le personnage s’ancre dans une époque tumultueuse et fascinante : l’Antiquité tardive, ce vaste tournant où le monde gallo-romain se transforme sous la pression des peuples francs. Le VI siècle, c’est la chute progressive de l’Empire romain d’Occident, la christianisation de la Gaule, les luttes de pouvoir entre rois mérovingiens... et au cœur de tout cela, Tours, cité déjà majeure, carrefour religieux et politique.
Grégoire naît en 538, une époque où la stabilité est rare : affrontements entre les rois, épidémies, et inquiétudes constantes pèsent sur la région. Installé dans Tours, il deviendra l’un des témoins privilégiés de ces bouleversements, à la fois homme d’Église et observateur intrépide.
Grégoire, de son vrai nom Georgius Florentius Gregorius, n’était pas le premier venu. Issu d’une famille gallo-romaine particulièrement influente, plusieurs de ses ancêtres avaient déjà occupé des postes d’évêques : une véritable dynastie ecclésiastique ! Son oncle, évêque de Lyon, le surnommait affectueusement « le petit Grégoire », et c’est en héritant de ce nom qu’il entrera dans l’histoire.
Ce pedigree familial lui offre un réseau et une éducation solides, dont il saura tirer parti pour s’imposer dans le paysage politique et religieux. Il est nommé évêque de Tours en 573, à seulement 35 ans : un détail souvent oublié, si jeune pour porter une telle charge.
On a souvent en tête la figure du chroniqueur, mais Grégoire a d’abord été, dans sa ville, l’homme de toutes les situations. Comme évêque, son pouvoir dépasse largement le simple cadre religieux : il administre, arbitre les conflits, recueille les doléances des habitants.
Ce n’est pas un hasard si les évêques sont parfois considérés comme les « maires » de l’époque. Grégoire agit ainsi lors des crises :
Anecdote qui en dit long sur son engagement : lors d’une famine, c’est Grégoire en personne qui fait ouvrir les réserves de la basilique pour secourir le peuple, tandis que d’autres dignitaires préfèrent fermer les yeux… (Source : Les , Livre 5)
Mais Grégoire n’est pas seulement un pasteur d’âmes. Il est aussi le premier « journaliste » de la région : un rôle qu’il s’est choisi au fil de ses célèbres "Histoires", rédigées entre 573 et 594. Son œuvre majeure, l’ (Histoire des Francs), raconte près de 600 ans d’évènements, depuis les origines du peuple franc jusqu’à l’époque mérovingienne.
Ce texte colossal – plus de 600 pages dans les éditions modernes – donne un aperçu rare et précieux des mentalités, coutumes, épisodes politiques, miracles, et fureurs de son époque. En voici quelques facettes :
Grégoire introduit aussi, parfois sans prétention, de vrais éléments d’enquête : il vérifie, recoupe, mentionne ses sources, un détail remarquable pour son époque. (Informations croisées : Éditions Bouquins, présentation de Martin Heinzelmann)
N’allez pas croire que notre Grégoire mène une existence retirée : grand voyageur, il arpente la région entre Anjou, Auvergne et Poitou (plus de 150 lieux sont mentionnés dans ses histoires), et fréquente régulièrement la cour du roi Gontran ou de Childebert II. S’il raconte volontiers les miracles, il ne se prive pas non plus de dévoiler les travers de ses pairs.
Quelques “petites histoires” inimitables :
Impossible d’ignorer tout ce que Tours doit à Grégoire. Si la ville s’est hissée comme capitale de la chrétienté occidentale au haut Moyen-Âge, c’est en grande partie grâce à sa plume : en faisant de Saint Martin le symbole de tolérance et de charité, l’évêque a attiré hordes de pèlerins, rois, marchands, artistes...
À Tours, des rues, collèges, établissements et curiosités commémorent aujourd'hui sa mémoire. Ne cherchez pas de grande statue cependant : Grégoire a préféré passer à la postérité par ses pages que par les monuments de pierre.
Si Grégoire a pu souffrir de l’indifférence (voire hostilité) de certains rois, il s’est acquis, auprès du “petit peuple” et du clergé, une réputation de droiture et de rigueur. Sa parole inspirait la confiance, quitte à bousculer les puissants. C'est sans doute pour cela que, dès le haut Moyen-Âge, d’autres chroniqueurs le surnommèrent “le nouvel Hérode” – non pour sa cruauté, mais pour sa franchise à dénoncer les abus (Source : Bernard S. Bachrach, "Gregory of Tours: New Perspectives", Brill, 2015).
Son ouvrage devint LA source incontournable sur l’époque mérovingienne. Si certains historiens modernes discutent sa partialité (son opposition aux ariens, ses récits de miracles...), ils reconnaissent l’immense portée de ses témoignages : pour l’histoire de France, il reste “le père de l’historiographie nationale”.
A Tours, des colloques réguliers, des expositions et même des parcours de visite sont organisés autour de son héritage. Les fonds patrimoniaux de la ville conservent plusieurs manuscrits anciens de ses œuvres (dont un exceptionnel exemplaire du IX siècle au Musée des Beaux-Arts de Tours). Pour les plus curieux, quelques cloîtres, églises ou rues du Vieux-Tours sont encore les témoins de “l’époque Grégoire”.
Vous souhaitez marcher dans les pas de Grégoire ? Plusieurs idées pour poursuivre l’exploration :
Aux détour d’une ruelle ou d’une page, Grégoire reste un compagnon de choix pour tous les curieux de Tours. Son style foisonnant, ses récits tantôt sages, tantôt débridés, continuent d’éclairer une ville où le passé et le présent n’ont jamais fini de dialoguer.