Balade musicale à Tours : ces musiciens et compositeurs qui font vibrer la ville

L’empreinte du Moyen Âge à la Renaissance : des trouvères aux débuts de l’opéra

Tours, ville « inattendue » jusque dans sa trame musicale ! Son histoire sonore démarre bien avant les tubes d’aujourd’hui. Point de départ : le Moyen Âge tardif, où la cité tourangelle était reconnue pour ses écoles cathédrales formant musiciens et chantres. Un document de 1462 (source : Archives Départementales d’Indre-et-Loire) signale déjà le renom des « musiciens de la cathédrale Saint-Gatien », dont plusieurs composeront de la musique sacrée influente jusque dans les Flandres.

À la Renaissance, Tours bouillonne d’intellectuels, de poètes et, bien sûr, de musiciens. Parmi eux, Pierre de Ronsard, natif de la région (Savigny-en-Véron, près de Tours), s'entoure de compositeurs à l’image d’Antoine de Bertrand, figure majeure de la « musique de la Pléiade », préfigurant l’opéra à la française. Son recueil de Chansons de Pierre Ronsard (1578) est l’un des premiers cycles lyriques de la Renaissance.

  • Fait marquant : Selon le musicologue Jean-Pierre Ouvrard (Université de Tours), plus de 130 « airs de Ronsard » circulaient à la fin du XVI siècle, nombre record pour un poète de son temps.

Les orgues de Saint-Gatien et du Grand Oratoire, dont certains éléments d’époque subsistent, témoignent encore du dynamisme musical de la ville dès le XVe siècle.

François Rabelais, Ambroise Paré… et la musique des Humanistes

Impossible de parler de l’essor musical tourangeau sans saluer le foisonnement humaniste incarné par Rabelais (né à La Devinière, tout près), puisqu’il accueille dans ses Gargantua et Pantagruel bien des références musicales. À la cour du duc de Valois, plusieurs musiciens sont attachés à la « musique de table » et aux ballets de la Renaissance, certains présents à Tours ou à Amboise.

  • Anedocte : En 1539, Ambroise Paré rapporte l’existence, à Tours même, de concours de chant improvisé lors des fêtes paroissiales, ancêtres de nos joutes musicales.

Louis XIII, Lully et le Grand Siècle : la couronne attire les talents

C’est dans l’orbite de la cour, alors installée tour à tour à Tours, Blois et Amboise, que le jeune Jean-Baptiste Lully (1632-1687) fait ses premières armes. D’origine italienne, il séjourne adolescent à Tours lors de la Fronde, avant de devenir le « surintendant de la musique royale ». Selon la biographie de Jérôme de la Gorce (Fayard, 2002), Lully aurait travaillé, entre 1645 et 1650, auprès de musiciens tourangeaux, notamment les frères Marchand, érudits de Saint-Gatien.

  • Fait méconnu : Plus de 20 % des compositeurs présents à la cour de Louis XIII sont originaires de la région Centre-Val de Loire, dont Tours fournit la majorité (source : Dictionnaire de la musique, Larousse).

La tradition de l’opéra baroque, qui subsiste aujourd’hui avec le festival Concerts d’Automne et les ensembles du Centre de Musique Baroque de Versailles (créé à l’initiative d’universitaires tourangeaux), trouve ici l’une de ses racines.

Le XIX siècle : berceau discret du romantisme musical

  • Paul Dukas, l’enfant prodige ? Bien que né à Paris, Paul Dukas (1865-1935, auteur de L’Apprenti sorcier) séjourne à plusieurs reprises à Tours, où il vient diriger l’orchestre municipal en 1903 pour la première mondiale de sa symphonie. Son passage réveille l’engouement local pour la musique orchestrale.
  • Claude Debussy et les bords de Loire : Entre 1905 et 1910, Claude Debussy séjourne à Azay-le-Rideau et à Monts, à quelques kilomètres, où il compose plusieurs préludes inspirés par la plaine tourangelle (lettres publiées chez Gallimard, 1932). Ce séjour, peu connu, est évoqué à la Médiathèque François-Mitterrand dans des expositions régulières.

Ce climat propice attire également des familles de musiciens : les frères Gendron, dont Paul (le violoncelliste, élève de Jules Delsart, professeur à Tours), influencent les jeunes virtuoses du XX siècle.

L’empreinte de Saint-Martin, les maîtrises et la tradition vocale

Tours est l’une des rares villes françaises à avoir conservé la tradition séculaire de maîtrises (chœurs d’enfants formés dès le Moyen Âge). Celle de la cathédrale Saint-Gatien, puis celle de la basilique Saint-Martin, donnent naissance à de nombreux chanteurs célèbres, comme Jean-Claude Malgoire (1939-2018), fondateur de La Grande Écurie et la Chambre du Roy.

  • Chiffre clé : À son apogée au XVII siècle, la maîtrise de Tours forme chaque année une douzaine de jeunes chanteurs, répartis dans toutes les grandes cathédrales de France (source : Guide de la musique sacrée en France, Fayard).
  • Fait marquant : L’actuel Festival des Voix, organisé tous les étés dans le vieux Tours, perpétue l’esprit des concerts des maîtrises avec plus de 20 000 spectateurs annuels (actualité mairie de Tours, 2023).

Mélodies et modernité : Tours, berceau du jazz à la française

  • Hommage à Charles Barrié, jazzman pionnierNé à Tours en 1924, Charles Barrié incarne la passion du jazz local. Dès 1949, il fonde le Jazz Club de Tours (plus ancien club de la région selon La Nouvelle République). Il accompagne en tournée Claude Bolling, Django Reinhardt, puis crée le premier festival de jazz tourangeau en 1957 (plus de 300 spectateurs à la première édition).
  • Rendez-vous contemporainsL’école Jazz à Tours, installée près des Halles, forme depuis 1981 la plupart des jeunes talents hexagonaux passés par la ville, à l’instar de Thomas Enhco, Laetitia Shériff ou Vincent Peirani.

Un tiers des concerts programmés chaque année dans la métropole tourangelle porte la marque du jazz (chiffre DRAC, 2022), entre Le Petit Faucheux, le Grand Théâtre et les clubs locaux.

Des lieux qui résonnent encore : balades musicales à travers Tours

  • Le Conservatoire Francis Poulenc : En 1969, la ville dédie son conservatoire à Francis Poulenc, compositeur du Groupe des Six, qui a séjourné chez ses cousins à Tours dans sa jeunesse. Aujourd’hui, plus de 2 500 élèves y apprennent musique classique, jazz et musiques actuelles. L’un des orchestres d’élèves réalise chaque année un clin d’œil aux « musiques de Tours » lors des Journées du Patrimoine.
  • Le Grand Théâtre de Tours : Inauguré en 1889, il accueille chaque saison de nombreux artistes de renommée nationale et internationale, de Jordi Savall à Barbara Hendricks. Plusieurs créations mondiales y ont été données, comme Le Songe d’une nuit d’été de Félix Fourdrain en 1908.
  • Balades musicales le long de la Loire : Depuis 2019, les Flâneries Musicales de Tours proposent des concerts en plein air sur les berges, rendant à la ville ses accents de « capitale ligérienne de la musique vivante ».

L’esprit d’aujourd’hui : création, transmission, vivier musical

Loin de se reposer sur ses lauriers, Tours vibre grâce à une créativité musicale constante.

  • Appels à projets pour les musiques actuelles prolifèrent, avec la tribune du Temps Machine, salle incontournable pour la scène rock, pop et électro. Les « Tremplins » locaux voient passer chaque année une cinquantaine de groupes de la région.
  • Norman Ajari, philosophe et musicien tourangeau, signe en 2020 un essai sur l’improvisation musicale, salué par la presse nationale (Libération, France Musique) : preuve que Tours reste un incubateur d’idées musicales et de talents.

De grandes créations voient encore le jour ici : l’orchestre symphonique de Tours a joué en 2023 la première européenne d’une œuvre du compositeur local Quentin Mirloup, le projet « Tours Symphonique » réunit chaque année des formations issues des musiques du monde… Le vrai tour de force : faire cohabiter dans la même ville une tradition centenaire et l’exploration sonore la plus inventive.

À l’écoute des échos tourangeaux : musiciens d’hier et talents d’aujourd’hui

D’un chant grégorien dans les voûtes de Saint-Gatien à une jam de jazz place Plumereau, Tours démontre, à chaque époque, la vigueur de son héritage musical. On découvre, au fil de ses rues, les traces – évidentes ou secrètes – laissées par les grands noms qui y ont séjourné, joué ou composé. Si vous souhaitez en croiser l’ombre ou l’écho, laissez-vous guider par la playlist vivante qu’est ce patrimoine : il y a fort à parier qu’en tendez, à un coin de rue, une note étonnamment familière…

  • Pour explorer davantage :
    • Le site Cité de la Musique recense les compositeurs ayant vécu ou travaillé à Tours
    • L’ouvrage Musique et musiciens en Touraine, du Moyen Âge à nos jours, collectif dirigé par C. Branger, Musée des Beaux-Arts de Tours, 2018
    • La base Patrimoine en région Centre