Lumières secrètes : à la découverte des vitraux insoupçonnés de Tours

Petites églises, trésors géants : les vitraux à l’écart des sentiers battus

Tourangeaux et visiteurs vont fréquemment admirer les verrières immenses de Saint-Gatien, mais quelques minutes à pied suffisent à changer de décor et d’époque. Dans ces églises moins célèbres, la créativité des maîtres-verriers s’exprime avec une liberté étonnante.

Église Notre-Dame La Riche : des vitraux 1900, ode à la couleur

Située avenue de la Tranchée, l’église Notre-Dame La Riche doit sa renommée à son architecture néo-gothique et surtout à ses vitraux, signés Lucien-Léopold Lobin et Georges Lusson entre 1866 et 1911 (source : Patrimoine religieux). Ce n’est pas ici que l’on trouvera les scènes bibliques convenues : la lumière flirtant avec les jaunes vifs de la Nativité ou les bleus profonds qui enveloppent la Vierge suffit à faire taire le reste du monde.

  • À ne pas manquer : le choix saisissant de couleurs originales pour les vêtements, osant l’orange ou le vert anis au XIXe siècle, en témoigne l’audace moderniste du maître-verrier Lobin.
  • Anecdote : Georges Lusson, qui lui succède, était réputé pour cacher sa signature dans une arabesque du décor, véritable jeu de piste pour l’œil attentif. À bon entendeur…

Saint-Pierre des Corps : l’art du vitrail moderne de Jean Mauret

À une volée de kilomètres du centre, l’église Saint-Pierre des Corps a été en grande partie reconstruite après 1940. Ici, place à une expression contemporaine et poétique du vitrail, avec l’intervention de Jean Mauret, l’un des verriers français majeurs de la fin du XXe siècle (source : Jean Mauret).

  • Mauret signe dans le chœur un ensemble mêlant abstraction et spiritualité, dans des tons pastel inattendus (roses poudrés, verts d’eau).
  • L’effet est fascinant : les paroissiens les plus âgés disent que la lumière semble s’adoucir, presque prendre la texture d’un textile le matin d’hiver.
  • En 2001, ces vitraux, réalisés en dalles de verre épaisses serties de béton, rappellent l’école du vitrail de Chartres, mais offrent une interprétation tout à fait singulière.

Merveilles cachées dans la vieille ville : ruelles et hôtels particuliers

À Tours, le patrimoine civil réserve aussi son lot de surprises. Derrière une porte en chêne ou au détour d’un escalier, des vitraux ponctuent l’histoire des familles de négociants, des médecins ou des artistes qui ont façonné la ville.

La Maison du Croissant (36 rue Briçonnet) : un vitrail art nouveau méconnu

Tout près de la place Plumereau, cette maison attire les regards avec sa tourelle. Pourtant, l’étonnement est à l’intérieur : dans la cage d’escalier, un vitrail en arc brisé décline motifs floraux, libellules et teintes irisées, vers 1903 (référencé par l’Inventaire général du patrimoine culturel).

  • Particularité : aucun élément religieux, un hommage à la nature et à la lumière, typique de la fascination tourangelle pour l’art nouveau à l’aube du XXème siècle.
  • Conseil : Portez une attention au détail du verre gravé, très rare à Tours, qui laisse passer la lumière en la diffusant comme un rideau changeant.

Hôtel Goüin : l’éblouissant vitrail Renaissance, oublié de tous

Célèbre pour sa façade Renaissance, l’Hôtel Goüin réserve aux visiteurs attentifs une fenêtre ornementée d’un vitrail du XVIe siècle. Si l’on fait abstraction des aménagements muséaux, on distingue encore un blason polychrome (source : Inventaire national du patrimoine).

  • Ce vitrail, déplacé et restauré après la Seconde Guerre mondiale, présente des motifs de lion, symbole héraldique de la famille Goüin.
  • La particularité réside dans la technique du « jaune d’argent », qui permettait aux verriers Renaissance d’obtenir des ors éclatants sans superposer de verre : une innovation technique typique du Val de Loire.

Vitraux insolites des chapelles et couvents : la spiritualité autrement

Parfois, il suffit de pousser une porte rarement ouverte. Certaines chapelles, souvent ignorées, abritent des œuvres où la piété se mêle à l’histoire locale.

Chapelle de l’Hospitalité Saint-Martin : un récit du XXe siècle oublié

À l’écart du tumulte, la chapelle de l’ancienne Hospitalité Saint-Martin, rue Descartes, recèle des vitraux commandés dans les années 1950 à la Manufacture Gruber, ateliers strasbourgeois réputés.

  • La série met en scène non pas des Apôtres mais les figures de la charité tourangelle – sœurs hospitalières, orphelins, ouvriers, dans un style moderniste teinté de réalisme social (source : Ville de Tours).
  • On y voit, anecdote rare, une représentation de la célèbre « soupe Saint-Martin », une marmite fumante entourée d’enfants – témoignage émouvant du souci d’ancrer le vitrail dans la vie réelle du quartier.

Cloître Saint-Julien : l’explosion de lumière des années 1930

Le cloître Saint-Julien, souvent plus admiré pour ses voûtes romanes ou ses concerts que pour ses verrières, conserve dans sa galerie nord un vitrail coloré signé Charles Lorin, maître-verrier de Chartres, en 1936.

  • Jeu de bleus et de rouges éclatants, ombres portées sur la pierre : Lorin joue ici avec la lumière comme un impressionniste jouant avec l’eau de la Loire.
  • C’est l’un des rares vitraux de Tours à représenter une scène de la vie quotidienne d’un cloître laïc (atelier de reliure), un clin d’œil à la mémoire artisanale de la Touraine.

Vitraux dans la ville moderne : patrimoine du XXe et XXIe siècles

Peut-on parler de « nouveaux vitraux » à Tours ? Depuis les années 1950, plusieurs ensembles religieux ou civils se sont dotés de créations audacieuses qui renouvelaient le genre.

Église Sainte-Jeanne d’Arc : abstraction et couleurs franches

Construite entre 1959 et 1966 par l’architecte Pierre Patout, l’église Sainte-Jeanne d’Arc, au sud de Tours, abrite des vitraux contemporains atypiques, commandés au maître-verrier Michel Petit (source : Patrimoine régional).

  • Ici, pas de personnages, mais une explosion d’aplats géométriques – cercles, triangles, fragments de prisme – sur fond de verre épais à reliefs, technique « dalle de verre » très en vogue dans les années 1960.
  • On y recherche moins le récit que la sensation : certains visiteurs disent avoir « l’impression d’un bain de lumière multicolore sur la peau ».

Lycée Paul-Louis Courier : hommage discret à la science

Le saviez-vous ? Le lycée Paul-Louis Courier, un bâtiment moderniste édifié au début des années 1960, intègre dans sa bibliothèque un vitrail créé en hommage à l’écrivain éponyme, mais aussi aux sciences humaines.

  • Le style y est graphique, proche du cubisme, alliant des fragments de textes en latin à des figures abstraites, en écho à l’esprit encyclopédique de Courier.
  • Cet ensemble est un rare exemple de commande publique de vitrail laïque moderne à Tours (source : Ministère de la Culture).

Quelques clés pour lire (et admirer) les vitraux inattendus de Tours

Observer un vitrail, c’est apprendre à décoder les messages d’un autre temps, mais aussi les inventions audacieuses des artistes plus récents. Quelques conseils pour en profiter pleinement lors de votre prochaine balade :

  • Lumière : Privilégier la lumière rasante du matin ou les fins d’après-midi, période idéale pour révéler la richesse des couleurs souvent cachées sous l’éclairage artificiel.
  • Loupe en poche : Même un simple smartphone en mode “photo” permet de zoomer et d’isoler des détails : signatures minuscules, symboles discrets, ou marques de restauration.
  • Demandez aux habitants : Nombre de ces lieux ne s’ouvrent qu’aux Journées du Patrimoine ou lors de visites guidées. Les riverains sont souvent les meilleurs passeurs de mémoire.
  • Librairies et associations : On trouve d’excellents livrets sur les vitraux de Tours à la librairie Libr’Ouch ou auprès de l’association « Tours Histoire d’Art ».

Perspectives : un patrimoine vivant à redécouvrir

Bien loin des seuls grands monuments, les vitraux moins connus de Tours racontent la ville autrement. Ils témoignent de mutations urbaines, de désirs d’innovation, de la vitalité de l’artisanat local et du lien unique entre lumière et histoire dans la vallée de la Loire.

L’exploration ne fait que commencer : avec plus de 130 édifices civils et religieux recensant au moins un ensemble de vitraux (source : Patrimoine religieux), Tours offre un terrain d’émerveillement sans cesse renouvelé. Les véritables trésors résistent parfois à la photographie, mais se révèlent à celui ou celle qui prend le temps de s’arrêter, de lever les yeux… et d’ouvrir grand la porte au merveilleux.