Aux portes du mystère : le trésor caché de la cathédrale Saint-Gatien dévoilé

Quand la cathédrale de Tours devient un coffre aux secrets

Impossible de traverser la Place de la Cathédrale sans ressentir le frisson de l’histoire : la silhouette gothique de Saint-Gatien se dresse, imposante, sur chaque carte postale de Tours. Mais sous la pierre, un mystère peuplé de récits anciens et de passions tenaces dort depuis des siècles. Le « trésor caché » de Saint-Gatien, c’est à la fois un mythe local, une affaire d’État au Moyen Âge, des fouilles modernes et de véritables chasses au trésor menées par des Tourangeaux souvent discrets, parfois excentriques. Plongée dans la grande histoire… et les petites anecdotes qui réveillent la curiosité.

Une énigme médiévale : entre reliquaires disparus et fortune évanouie

Remonter aux origines du « trésor », c’est se perdre dans les volutes du temps. Au Moyen Âge, la cathédrale de Tours abritait un immense trésor liturgique : pièces d’orfèvrerie, reliquaires scintillant d’or, statues enrichies de pierres précieuses, tissus venus de Constantinople… Un inventaire de 1317 évoque plus de 230 objets précieux (Source : Gallica BnF), dont certains offerts par des rois de France, des évêques, des pèlerins aisés, au fil des siècles. Les reliques de Saint Martin, autrefois conservées à la basilique détruite en 1562, renforçaient l’aura du lieu, ainsi que son « magot » : les dons de pèlerins, parfois aussi en espèces sonnantes, affluaient à Tours, étape majeure du pèlerinage vers Compostelle.

Mais les guerres de Religion, puis la Révolution, allaient transformer le trésor réel en légende. En 1562, les huguenots dévastent la ville et mettent à sac la cathédrale. En 1793, la municipalité réquisitionne ce qui subsistait : l’or, l’argent, les émaux sont fondus, expédiés à la Monnaie ou volés dans la confusion (Source : Archives départementales d’Indre-et-Loire). Résultat ? Sur près de deux siècles, des objets uniques s’évaporent, certains laissant derrière eux une énigme : qu’est-il advenu du « cœur d’argent » de Saint-Gatien, du calice du roi Charles VIII, du ciborium offert par les ducs d’Anjou ?

Chroniques de disparitions : des récits qui attisent l’imaginaire

Parmi les histoires mystérieuses, une intrigue obsède les passionnés : la cachette supposée du trésor durant la Révolution. Plusieurs indices, consignés par l’abbé Chevalier, chroniqueur tourangeau, évoquent des prêtres réfractaires cachant en hâte reliques et objets liturgiques dans les caves, sous l’autel… ou dans des galeries dont la trace s’est perdue (Source : Gallica BnF). Une circulaire révolutionnaire de 1794 ordonne la « descente » d’un coffre muni de serrures secrètes : mais où finit-il ? Certains affirment que des cryptes murées sous le chœur, jamais entièrement explorées, pourraient renfermer des restes de ce pactole, inaccessibles aux archéologues.

Des témoignages du XIX siècle alimentent aussi la rumeur d’un tunnel reliant la cathédrale à l’ancien palais des archevêques, aujourd’hui musée des Beaux-Arts. Mythe ou réalité ? Les dernières études de terrain, menées dans les années 1980 lors des grands travaux sur l’îlot de la Psalette, ont confirmé l’existence de souterrains, mais aucun n’a livré le moindre objet d’orfèvrerie (Source : Société archéologique de Touraine, Bulletin 1985).

Traces matérielles : ce que les archéologues ont vraiment retrouvé

Si la plupart des trésors liturgiques ont disparu à jamais, quelques vestiges ont tout de même survécu aux tumultes. Au fil des fouilles, des fragments de mosaïque, des appliques de cuivre doré, quelques pierres polies et débris de vitraux ont été retrouvés sous le pavement de la nef ou dans les remblais, témoignant de la richesse passée de la cathédrale. Une découverte marquante : en 2010, lors de sondages pour la restauration de la crypte, des archéologues ont mis au jour une cache contenant une douzaine de pièces d’argent du XVI siècle, enveloppées dans du lin roussi. Leur faible valeur a déçu les rêveurs, mais ce geste – cacher à la hâte même une petite réserve – suggère la crainte et la précarité de l’époque (Source : INRAP, rapport d’opération 2010).

  • Nombre de grandes pièces d’orfèvrerie recensées en 1317 : plus de 30 (calices, ciboriums, croix d’autel)
  • Reliques majeures listées en 1452 : 14, incluant un fragment de la Croix et la mâchoire de Saint-Gatien
  • Objets liturgiques disparus en 1793 : environ 80% de l’inventaire précédent

Les explorateurs modernes et les « chasses au trésor » contemporaines

Le trésor de Saint-Gatien, ce n’est pas que du passé : il s’invite dans les veillées familiales, alimente les balades nocturnes, ou inspire même quelques jeux de piste organisés par des passionnés d’histoire locale. L’association « Tours sous nos pieds » a, par exemple, cartographié tous les sous-sols accessibles de la ville en 2018, recoupant des plans anciens avec photos et relevés topographiques (disponible à la mairie). Résultat : si des chambres souterraines existent bel et bien sous la cathédrale, elles ont été fouillées au XIX siècle et n’ont livré que du mobilier funéraire et des résidus de construction.

Mais certains ne renoncent jamais. Tous les ans, lors des Journées du Patrimoine, les bénévoles du musée archéologique relatent quelques trouvailles cocasses – comme la « boîte à cigares » martelée en cuivre, retrouvée derrière l’autel latéral en 1957 : elle contenait… les restes d’un tiroir caisse !

Légendes persistantes : quand le mystère nourrit la spiritualité

Plus que l’appât de la fortune, l’histoire du trésor de Saint-Gatien réveille la dimension sacrée des grands édifices religieux. Au fil des siècles, de nombreux bâtiments ecclésiaux cachent ou protègent les biens précieux non pas pour eux-mêmes, mais pour préserver la mémoire collective, la foi, parfois le simple espoir. À Tours, la certitude d’un trésor caché sous la cathédrale a permis de fédérer les habitants autour de leur patrimoine dans les moments difficiles. En 1944, par exemple, alors que le quartier de la cathédrale est bombardé, la rumeur d’un « coffre oublié » ranime le courage de la population, qui forme une chaîne humaine pour sauver les œuvres d’art menacées par les flammes (Source : Archives municipales de Tours).

En 2016, le curé de la paroisse rappelait lors d’une conférence : « Le véritable trésor de Saint-Gatien, ce sont les histoires et la ferveur qui entourent le lieu. Il n’est pas seulement matériel, il est dans la transmission ».

À la recherche du « fabuleux » : témoignages, inventaires, visites guidées

Aujourd’hui, la réalité du trésor de Tours se découvre davantage dans les récits et les vitrines des musées : quelques pièces isolées sont visibles au musée des Beaux-Arts (notamment un reliquaire du XVI siècle et un ostensoir néogothique), d’autres dans la collection liturgique de la cathédrale elle-même, principalement lors d’expositions temporaires.

Objet Siècle Lieu de conservation
Fragment de châsse en argent repoussé XV Musée des Beaux-Arts
Bible enluminée XIII Bibliothèque Municipale
Croix processionnelle émaillée XVI Cathédrale (collection privée)
  • Le circuit « Trésors cachés de Tours », proposé par l’Office de Tourisme, permet de découvrir les objets retrouvés, des anecdotes inédites et des pièces rarement présentées au public.
  • Le site tours.fr recense toutes les conférences et expositions à venir sur le patrimoine liturgique.
  • Pour les amateurs d’aventure, un escape game inspiré de la légende du trésor occupe occasionnellement les cryptes de la cathédrale.

Une aventure toujours ouverte sous les pierres de Tours

Le trésor caché de la cathédrale Saint-Gatien n’a, jusqu’ici, livré qu’une poignée de ses secrets, et la légende continue d’attiser les rêves : entre galeries oubliées, inventaires disparus, passés sous silence ou objet mystérieusement réapparu au détour d’une restauration… chaque nouvelle découverte ravive l’espoir. C’est moins la richesse matérielle que la soif d’histoire qui incite les curieux à pousser la porte, à visiter la crypte, à interroger les plus anciens. Le mythe n’appartient plus à un coffre, mais à tous les Tourangeaux – et promeneurs de passage – qui osent, le temps d’une visite, se prendre au jeu.