Secrets bien gardés : les hôtels particuliers oubliés de Tours

Pourquoi tant de mystère autour des hôtels particuliers tourangeaux ?

Derrière les hautes façades de tuffeau et les portails massifs qui ponctuent les rues de Tours, une multitude d’hôtels particuliers sommeillent loin des regards. Certains ne dévoilent rien, si ce n’est une cour ombragée ou un linteau sculpté qu’on aperçoit au détour d’une porte entrebâillée. Ce sont ces trésors discrets, souvent absents des circuits classiques, qui contribuent à l’âme secrète de la ville.

Contrairement à des villes comme Paris ou Bordeaux, dont les hôtels particuliers sont largement documentés et souvent ouverts lors de visites guidées, Tours cultive sa part de mystère. Beaucoup de ces demeures appartiennent encore à des familles privées, ou abritent des institutions fermées au public. Pourtant, chacune raconte à sa manière un fragment précieux de l’histoire tourangelle.

Petite histoire d’une grande discrétion : repères chronologiques

Entre le XVe et le XVIIIe siècle, la bourgeoisie et la noblesse tourangelles se sont disputé le centre-ville à coups de chantiers fastueux. Tours, ville royale et parlementaire, était alors un pôle administratif majeur autant qu’un laboratoire architectural. Selon l’Inventaire général du patrimoine culturel (IRPC, Région Centre-Val de Loire), on recense environ 60 hôtels particuliers majeurs dans l’hyper-centre, dont une vingtaine encore habités de nos jours. Pour la plupart, leur façade donne sur la rue Nationale, la rue Colbert ou la rue du Commerce, mais seuls quelques-uns livrent de temps à autre leurs secrets lors des Journées du Patrimoine.

Top 5 des hôtels particuliers invisibles aux circuits classiques

  • L’Hôtel Gouïn, côté inconnu Tout le monde (ou presque) connaît sa façade Renaissance ornée d’une frise mythologique visible depuis la rue du Commerce. Mais ce que les circuits omettent souvent, c’est que le véritable trésor se cache dans l’aile arrière, restaurée après les bombardements de 1944, et où subsistent des caves du XVe siècle, autrefois utilisées par les marchands drapiers. L’accès y reste réservé, sauf événements très ponctuels (Musées de Tours).
  • L’Hôtel de la Croix-Blanche, le fantôme discret Rue des Halles, une grande grille noire dissimule une élégante demeure du XVIIIe siècle. Cet hôtel particulier appartenait à la famille Thibault, armateurs et magistrats. Ses salons ont accueilli des réunions clandestines durant la Révolution. Propriété privée, fermé au public, il conserve encore ses boiseries d’origine.
  • L’Hôtel de Boisfranc, et son incroyable escalier A deux pas de la place Plumereau, ce petit bijou néo-classique, construit en 1765 par l’architecte Jean-Baptiste Houdin, n’apparaît sur aucun dépliant touristique. Sa cour intérieure, insoupçonnable depuis la rue, abrite un escalier suspendu en pierre, chef-d’œuvre du XVIIIe siècle. Une anecdote rapportée par l’archiviste Maurice Druon veut que l’Impératrice Eugénie y aurait fait halte en 1866 avant une réception officielle. Il abrite aujourd’hui des bureaux d’avocats, inaccessibles au public (Ministère de la Culture, base Mérimée).
  • L’Hôtel Babou de la Bourdaisière, entre alchimie et botanique Situé rue du Cygne, il fut le relai discret de plusieurs sociétés savantes tourangelles, attirées par la réputation alchimique de son propriétaire au XVIIIe siècle. On y retrouva même il y a quelques années une pièce secrète contenant des herbiers très anciens et un traité manuscrit sur les vertus médicinales des plantes de la Loire (source : La Nouvelle République).
  • L’Hôtel du Petit Preuilly, un trésor néogothique Doublé d’un jardin d’hiver, ce bâtiment datant de la fin du XIXe siècle échappe à l’œil des visiteurs. Il a servi de repaire aux premiers architectes modernistes tourangeaux et fut l’un des rares hôtels particuliers à ne pas avoir été réquisitionné durant les deux guerres mondiales (archives municipales de Tours).

Les façades qui parlent à qui sait regarder

Tous ces hôtels particuliers affichent des signes distinctifs, souvent indéchiffrables pour le promeneur pressé. Quelques clés pour les repérer :

  • Des mascarons au-dessus des fenêtres (visages fantastiques sculptés, souvent symboliques du métier du premier propriétaire)
  • Un portail à double vantaux en chêne massif, souvent orné de clous forgés, signe d’une grande demeure
  • Des ferronneries « à chiffre » (monogrammes entrelacés désignant l’initiale du propriétaire)
  • Des cours pavées, parfois invisibles, mais donnant sur des passages voûtés accessibles en poussant parfois une simple porte vitrée

Observez aussi les inscriptions gravées dans la pierre. On en retrouve, à Tours, datées du XVIIe siècle, mentionnant la construction de puits ou de souterrains, vestiges de l’époque où l’eau du Loir ou de la Loire était précieuse (Mairie de Tours).

Des lieux émaillés d’anecdotes inattendues

  • Un hôtel particulier transformé en hôpital de fortune : lors des bombardements de juin 1940, certains hôtels particuliers de la rue Colbert furent transformés en dispensaires, alors que d’autres servaient de cache pour des archives de la mairie.
  • Un laboratoire révolutionnaire : au XVIIIe siècle, l’hôtel de la rue de la Scellerie abritait le cabinet de travail du Docteur Léon Dugast, pionnier de l’optique médicale à Tours, auquel on doit la création du premier appareil de correction visuelle performant en Touraine (source : Société Archéologique de Touraine).
  • Des refuges d’artistes : lors des Années Folles, plusieurs hôtels particuliers du boulevard Béranger accueillent des ateliers d’artistes surréalistes, dont une exposition privée de Jean Cocteau en 1928.

Ces hôtels particuliers visitables uniquement sur invitation ou lors d’événements particuliers

  • L’Hôtel du Grand Commandement Il a ouvert ses portes exceptionnellement pour le 80e anniversaire du Débarquement, révélant une bibliothèque classée et un salon Art déco immaculé. Hors événements, il accueille la direction régionale de l'Armée de Terre.
  • L’Hôtel de la Préfecture Ouvre ponctuellement lors des Journées du Patrimoine : l’escalier monumental et la salle du conseil sont parmi les plus beaux exemples du style Empire en Touraine. Construction d’origine 1865.

Certaines associations locales, comme Patrimoine Touraine, mènent des visites exceptionnelles pour petits groupes. C’est bien souvent la seule chance d’entrer dans ces univers feutrés, où le temps semble suspendu.

Pourquoi sont-ils si peu accessibles ?

  • Propriété privée et respect de la vie familiale : beaucoup de ces demeures, contrairement à d’autres villes, sont habitées, parfois par des descendants des familles fondatrices.
  • Fragilité du bâti : nombre d’hôtels particuliers souffrent de problèmes d’humidité ou de fissures du tuffeau. Les conservateurs sont donc très prudents quant au nombre de visiteurs admis.
  • Enjeux de sécurité : certaines demeures possèdent des souterrains ou caves profondes, non aménagées pour le public.

Les hôtels particuliers ouverts à la visite régulière, comme celui de Berthelot ou l’actuel hôtel Goüin, sont donc l’exception, non la règle.

Petits conseils pour les curieux

  • Profitez chaque année des Journées du Patrimoine : préparez-vous dès juin/juillet, car les places pour visiter certains hôtels invisibles partent en quelques heures !
  • Guettez les ouvertures proposées par des associations comme Les Amis du Vieux Tours ou Les Journées des Ateliers d’Artistes.
  • N’hésitez pas à pousser une porte lors de portes ouvertes, parfois organisées pour des expositions, défilés de mode ou ventes de créateurs.
  • Cherchez les repères : un heurtoir insolite, un blason discret, la trace d’un ancien porche. Tous sont signes d’un riche passé.

L’avenir du patrimoine invisible

Face à l’intérêt croissant du public pour un patrimoine « de l’intime » et à l’essor du tourisme responsable, certains propriétaires réfléchissent à ouvrir plus largement leurs portes via des visites immersives ou des conférences. Cette tendance, encouragée par la Fondation du Patrimoine, permet d’entrevoir de nouveaux liens entre habitants, visiteurs et ces lieux vivants de mémoire.

Finalement, débusquer les hôtels particuliers restés invisibles revient à retrouver la ville telle qu’elle se construit aussi : vivante, changeante, inattendue. À Tours, chaque porte close n’attend qu’une main curieuse pour révéler son mystère… et chaque récit, qu’une oreille attentive pour vibrer.

Sources : Musée de Tours, Archives municipales de Tours, La Nouvelle République, base Mérimée, Patrimoine Touraine.